Le problème avec la coiffeuse
... Ce sont ces immenses fichus miroirs. Tu te regardes beaucoup dans la glace, toi ? C'est une activité que j'ai abandonnée aux alentours de mars 1997. Juste le minimum syndical pour être présentable quoi, le coup de brosse à l'arrache et le mascara à 2cm du miroir. Surtout pas de vision d'ensemble, ce ne serait bon ni pour le miroir ni pour moi. Imagines le calvaire du shopping annuel, quand le couteau sous la gorge (ou plutôt les trous aux coutures de mon tout dernier jean portable), il faut me traîner dans les cabines d'essayage... Je me demande encore pourquoi personne n' a eu l'idée lumineuse (ah, ah) de tamiser un peu cet éclairage, histoire de sentir un peu plus à son avantage... au lieu de ça, ce néon blafard qui fait ressortir tout ce que tu passes ta vie à cacher. Je termine ces excursions shopping déprimée, avec des envies de mordre la vendeuse (pardon la vendeuse, je sais c'est pas de ta faute si je suis immonde), au moins la cb est restée bien au chaud.
Mais revenons à la coiffeuse, souriante, avenante, commerçante ("Je vous fais un brushing ? - Non, merci."), jolie (toi je t'aime pas), gracieuse (je te déteste), filiforme (non, en fait je te hais) et qui essaye d'entretenir la conversation ("Quel froid, n'est-ce pas ? Je vous fais un brushing ? - Non, toujours pas, merci.") et a décidé de me demander mon avis sur ce qu'elle est en train d'infliger à mes tifs, quelle idée. "Tenez-vous droite, regardez bien devant vous" (T'es pas folle ?). Quand tu es prisonnière dans le fauteuil tu regardes où, toi ? mes yeux s'enfuyent à gauche (mon reflet x10), à droite (un Paris Match qui raconte l'idylle naissante entre Vanessa Paradis et Johnny Depp) ("Tenez-vous droite, j'ai dit"), je tends la main vers mon téléphone pour faire joujou avec Instagram mais - "NON MAIS VOUS ALLEZ VOUS TENIR DROITE, OUI ?!?!?" Ouhla.
"Oh mais regardez vos cheveux sont pas coupés droit." (Non je ne regarde pas t'as qu'à les égaliser.)
"Vous leur faites des soins ? Regardez comme ils sont abimés." (Oui c'est pour ça que je suis venue te voir, en même temps.)
"Un petit brushing pour sécher tout ça ?" (NAAAAAAAAAAAAAAAN !!)
"Ca vous va comme ça ?"
Accidentellement, je croise ma tête dans le miroir - et je me vois - je me regarde. Ces traces d'usure sur ma tronche, ces poches sous les yeux comme autant de sillons de larmes, ces rides sur le front comme autant de vagues de soucis, ces tout petits cheveux blancs comme autant de gosses, mes pommettes à la russe qui se cassent la figure. C'est ma propre mère que je vois, lasse, très lasse, et fatiguée, très fatiguée. Envie de pleurer. Ca, c'est moi, c'est ma gueule, c'est celle que doivent se coltiner mes proches tous les jours.
"Ca vous plait ?" Je lui souris poliment, je ne réponds pas.
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