Charlotte.
Il m'est arrivé il y a longtemps de tomber en amour pour une peintre inconnue du grand public, et d'avoir envie d'en savoir plus, bien plus que ce que laissaient entrevoir de sa brève existence les quelques guides locaux - il s'agissait d'une jeune artiste peintre disparue très jeune, Marie Bashkirtseff.
Alors, ça devient une évidence que le projet de David Foenkinos (outre que c'est un auteur que j'apprécie beaucoup) de retracer la courte vie de Charlotte Salomon, marquée par la tragédie - et par son talent - ne pouvait que me donner des palpitations d'envie rien qu'à la perspective de le lire.
Et je me fous de savoir si le livre méritait ou pas les prix reçus ou ratés de peu, car c'est à cette aune qu'il a été beaucoup critiqué. La forme littéraire choisie a aussi beaucoup été discutée, de savoir s'il s'agissait d'un procédé artificiel, quelque part entre la prose et la poésie, et peu importe : on l'oublie vite, il ne paraît ni trop recherché ni trop appuyé, et le texte semble couler comme de l'eau. Nous avons là simplement l'hommage (un peu fiévreux, un peu maladroit, absolument sincère) d'un auteur pour une artiste qui vécut tout avec passion, avec l'amour et la création comme moyens de lutter contre le désespoir ambiant.
Car le désespoir, il a toujours plané autour de Charlotte Salomon. Elle a grandi dans une famille aisée de la communauté juive berlinoise, famille déjà marquée par le sceau du secret (des suicides en série comme une gangrène) avant de devenir victime de l'exclusion progressive et systématique des juifs par le régime nazi ; Charlotte ne serait qu'une victime parmi tant d'autres de l'abomination si elle n'avait laissé derrière elle un considérable travail à base de gouaches et dessins d'une grande force qui ne seront redécouverts - et exposés - que des des décennies après sa mort à Auschwitz. L'oeuvre restante (une autobiographie peinte intitulée "Vie ? ou Théâtre?") laisse imaginer ce qu'elle aurait pu devenir sans cette vie ruinée - la sienne et celles de millions d'autres, artistes ou pas.
Il y a en elle une force émouvante.
Est-ce le charisme des taiseux ?
Ou la puissance triste qui émane des exclus ?
{Charlotte, David FOENKINOS, Gallimard}
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{Résultat du Concours Rubens Barn en edit de l'article}