Ca fait lontemps que j'ai pas causé bouquin, tiens...
Voici un livre, à la fois confession et témoignage, qui
laisse sur le carreau, un véritable puits de tristesse, celle d'un petit
garçon de 4 ans dont la vie semble s'être arrêtée net une nuit de
septembre 1952.
Dans les
années 50, la vie de la famille Goolrick semble être une fête sans fin,
entre diners mondains et cocktails, des parents admirés et adorés de
leurs amis. Au fil des pages on découvre que cette image idéale cache
amertume, dépression, alcoolisme. La lecture donne parfois un sentiment
de confusion comme si l'auteur s'empressait de raconter tout, très vite,
avant de tout oublier ou de changer d'avis, entremêlant divers épisodes
douloureux advenus à différentes époques, que ce soit la rupture
d'anévrisme de son frère, son séjour à l'asile psychiatrique ou la
description détaillée - et insoutenable - de ses automutilations. Les
souvenirs arrivent dans le désordre, comme le dit lui-même Goolrick.
L'explication de tant de douleur n'arrivera que vers les 3/4 du livre,
et le récit impensable de la nuit destructrice, scène absolument
abominable décrite en termes brutaux dont on sort totalement secoué.
C'est une écriture très forte, des chapitres
remplis de questions sans réponses, surtout celle-là : comment ont-"ils"
fait pour continuer à vivre comme si de rien ne s'était passé ? celui
qui a fait, celle qui l'a vu faire, celle qui a su ce qu'il avait fait.
Pourquoi ont-"ils" ensuite fait preuve envers lui de tant de rage, de
cruauté, de sadisme, allant jusqu'à culpabiliser un jeune garçon qui
sera dès lors toute sa vie en quête perpétuelle de l'amour et de la
reconnaissance qu'il n'a jamais eues.
Le
dernier chapitre est renversant, bouleversant, message adressé à tous
les potentiels bourreaux d'enfants, s'il pouvait n'en sauver qu'un,
alors, dit l'auteur, le livre aura servi à quelque chose.
"On a tendance à
vouloir aimer sa famille. En fait, on a même tendance à le faire.Même si
l'on choisit de couper les liens avec tout ce qui avait été pour nous
"chez nous", pour redéfinir l'espace dans lequel on vit, les émotions
qui nous paraissent le plus naturelles, notre manière d'aimer, on reste
hanté par un sentiment persistant de deuil et d'admiration à l'égard des
êtres que l'on a connus en premier et le mieux. Même si on ne leur
adresse plus jamais la parole, ils demeurent nos premiers et nos plus
purs amours. Il y a, pour chacun de nous, une époque où ils signifiaient
tout.
Parfois, cette époque
dure toute notre vie. Elle est aussi éternelle que notre souffle. Elle
ne s'altère ni ne meurt.
Parfois,
elle prend fin à un âge très précoce. On n'y peut rien. Il arrive des
choses."
{Féroces, Robert Goolrick, Editions Anne Carrière}
C'est peut-être bien LE livre qui m'a le plus marquée jusqu'à aujourd'hui dans mes lectures pour le Grand Prix Elle... Mais il me reste encore deux sélections à recevoir !